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L'Opinion Indépendante - Christian Authier

Vendredi 5 mars 2010 - N° 2918

L'Opinion Indépendante

Le général de Gaulle revient et il n’est pas content. De ce  point de départ fantaisiste, Benoît Duteurtre signe un conte très drôle, mais aussi teinté de mélancolie, sur la France d’aujourd’hui. Entretien.
De Gaulle en 2010


Etes-vous gaullo-nostalgique ?

Je suis par nature gaullo-nostalgique. Mon tempérament est un peu nostalgique et de Gaulle me renvoie par ailleurs à mon enfance. Je suis né quand de Gaulle était président et il était un dieu dans ma famille. De mon grand-oncle, héros de la résistance, à mon grand-père qui était député et gaulliste
de gauche : j’ai baigné dans une mythologie gaulliste. Puis, à quinze ans, j’ai eu une période de rejet. J’étais d’extrême gauche et animé par des idées simples. J’étais contre les nations, je me sentais citoyen du monde tandis que de Gaulle incarnait bien sûr le nationalisme. Je me suis donc mis à le détester avant de me rendre compte qu’il était un personnage assez unique et fascinant dans l’histoire
de France.

Le retour du Général commence par une mobilisation en faveur du véritable oeuf mayonnaise. Vous évoquez aussi la disparition des bistrots traditionnels remplacés par des bars branchés, ou pire, par des endroits jouant sur la fausse authenticité. Ce simulacre vous semble-t-il l’une des caractéristiques de l’époque ?

Oui, c’est une idée qui me poursuit depuis longtemps. On a de vrais faux bistrots, de vrais faux villages… C’est la caractéristique de la France d’aujourd’hui. Les Américains quand ils bâtissent
un parc Disney font du faux. Chez nous, on ne sait jamais si on est dans un bistrot ou un simulacre de bistrot. C’est l’un des caractères de la ville contemporaine. Dans le roman, le patron vient de démolir
un bistrot moderne des années soixante-dix pour bâtir un vrai faux bistrot. J’ai parfois l’impression que la dernière étape de la modernité heureuse – une modernité optimiste croyant que l’on va vers un progrès et un monde radieux – s’arrête aux années soixante-dix. Après, on n’y croit plus vraiment et l’on tombe dans une espèce de culture de la nostalgie modernisée qui donne, par exemple, le vrai faux bistrot.

L’un des défis du roman consistait à faire renaître la langue du général – qui est une sorte de
mélange entre Charles Péguy et Michel Audiard – tout en la plaçant dans un contexte actuel.

Pour lutter contre la fuite du temps et l’angoisse de la mort, l’art du roman permet de faire tout ce que l’on veut. On peut mélanger des époques, faire revivre notre passé au présent, faire resurgir des personnages historiques et les projeter dans le futur… C’était le projet du livre à travers la figure de Gaulle qui représente vraiment la France d’avant. Je voulais placer ce personnage dans la France
d’aujourd’hui, ce qui produit évidemment plein de réactions. Ensuite, il fallait que je le fasse parler du monde actuel et j’ai écrit ses discours de manière assez spontanée, sans doute parce que j’avais
été bercé par la voix et les mots du gaullisme quand j’étais enfant. Je me suis amusé à créer un mélange entre des idées de base de la pensée gaulliste et des lubies personnelles. Peut-être qu’au
fond, je suis assez proche d’une certaine tradition gaulliste.

Dans votre livre, le général part en guerre contre la mondialisation et la tyrannie comptable.

Comme je le disais, de Gaulle incarnait pour moi à quinze ans le nationalisme le plus archaïque. D’une certaine façon, c’est vrai : le nationalisme est périmé, mais ce qui m’intéresse chez de Gaulle
est que son archaïsme a quelque chose de moderne. Derrière la figure du vieux général un peu autoritaire croyant en la nation et la grandeur de la France, il y a une dimension incroyablement actuelle. Par exemple, il avait pressenti que l’Europe se construisait comme un protectorat américain et ne pourrait pas fonctionner sans un projet politique. C’est ce qui se passe aujourd’hui. D’un autre point de vue, l’idée de nation peut paraître vieillotte, mais qu’est-ce que la pointe de la pensée alter-mondialiste ou écologiste ? C’est l’idée que chaque région du monde doit pouvoir vivre dans une espèce d’autosuffisance et que, contre les échanges commerciaux débridés qui détruisent la planète, chaque pays puisse assurer sa subsistance alimentaire, industrielle, etc. On n’est pas très loin de
l’idée de nation. Le cadre national prend une modernité plus grande que cette espèce de folie productiviste et libreéchangiste. Dernier point, il y avait dans le gaullisme la défense des cultures en
voie de disparition. En ce sens-là aussi, il est moderne. Cela m’a amusé de pousser ce mélange d’archaïsme et de modernité en insufflant à ce personnage de fantaisie des idées beaucoup plus décalées et plutôt soixante-huitardes.

Le romancier a tous les droits et votre de Gaulle est mythifié. Par exemple, le gaullisme de 1958 à 1969 fit passer la France en quelque sorte de Jour de fête à Playtime ou Trafic…

C’est vrai. D’ailleurs, mon de Gaulle – si je puis dire – est pour la défense de l’agriculture traditionnelle. Or, il faut bien reconnaître qu’en réalité les années gaullistes ont été celles de l’expansion de l’agriculture industrielle.

Le retour du Général dessine également le portrait d’une société sécuritaire où prolifèrent les règlements et les interdictions.

C’est l’infantilisation du monde. On vit dans une société où le système marchand veut briser toutes les structures étatiques au profit d’une liberté économique absolue, mais ce même système produit des
quantités de réglementations dans la vie quotidienne et pour la protection des individus qui deviennent une espèce de tyrannie. Comme s’il fallait compenser l’abandon de tout projet économique et social
collectif par une prise en main de chaque détail de la vie quotidienne… C’est une chose que je trouve assez effrayante et contre laquelle le Général, dans mon roman, va enfin pouvoir réagir. La fiction
du monde idéal que je m’amuse à bâtir peut paraître émouvante, mais elle est tellement kitsch qu’elle démontre par l’absurde que ce projet plus ou moins souverainiste est déjà dépassé et décalé. J’ai
écrit ce chapitre baptisé «Le monde enchanté du Général» comme une rêverie absurde où l’on finit par chanter la Marseillaise main dans la main en fumant des pétards. Tout cela n’arrivera malheureusement jamais…

Votre narrateur éprouve une certaine mélancolie à l’idée de voir ses livres et ses disques menacés de «perdre toute valeur» du fait de la dématérialisation technologique. On retrouve là votre fascination pour la modernité et en même temps la nostalgie de ce que l’on perd au passage…

La question que la religion du progrès ne pose jamais est : qu’est-ce que l’on perd ? Elle ne nous parle que de ce que l’on gagne. Le mouvement du monde ne pèse jamais le positif et le négatif. Il faut
adopter chaque réforme parce qu’elle est nouvelle. C’est l’obsession du changement, mais que perd-on au passage ? C’est peut-être un tempérament nostalgique, mais aussi une forme de raison. On ne peut pas dire que la situation du monde, les conditions économiques et sociales soient objectivement, depuis vingt ans, marquées par un progrès fulgurant. Il y a plutôt une montée de l’angoisse, des peurs. Qu’a-t-on perdu ? Qu’est-ce qui est beau et qui est en train de disparaître pour toujours ?

Il s’agit aussi d’un roman sur l’identité nationale, pour reprendre une expression à la mode. Vous écrivez qu’être Français est un «héritage mystérieux» qui constitue une limite mais qui recouvre aussi des richesses. Quelle est votre France ?

J’ai été exaspéré par un débat qui a été complètement faussé. D’un côté, on avait une droite libérale qui lance ce débat pour des raisons politiques, mais qui est l’incarnation de la liquidation de toute forme de réalité française par la privatisation de tout et de n’importe quoi, par la fascination pour le modèle américain. La politique économique de cette droite est la négation de l’identité nationale qu’elle demande aux citoyens d’affirmer. D’un autre côté, il y a une gauche morale et progressiste qui ne supporte pas l’idée de nation et considère que parler de nation est une démarche presque fascisante. Donc, l’opposition entre ces deux camps n’est pas très intéressante. Pour ma part,
j’ai essayé de montrer concrètement le rapport que l’on peut avoir avec ce pays, ses images, ses musiques, toutes ces choses qui existent encore, mais qui sont menacées à la fois par l’abandon économique et par la folie des réglementations.

Comme en 1968, votre Général va se heurter à la coalition de la jeunesse et du grand Capital…

Dans le roman, de Gaulle ne veut pas se couper de la jeunesse. Il affirme beaucoup de sympathie envers les minorités sexuelles, les punks, les fumeurs de joints… Finalement, ce sont les petits enfants
des soixante-huitards qui vont le rattraper en proclamant que la nation est quelque chose de ringard et que l’on est tous des citoyens du monde. Ayant moi même partagé cette idée, je peux la comprendre, mais il faut bien dire qu’être citoyen du monde aujourd’hui consiste à adhérer à un certain modèle anglo-américain de vie et de culture qui liquide ce que la France, avec sa singularité, a pu apporter au monde.

Propos recueillis par Christian Authier
LE RETOUR DU GÉNÉRAL,
Fayard, 220 p.

Date de création : 23/06/2013 @ 11:59
Catégorie : - Le retour du Général
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