En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies pour vous proposer des contenus et services adaptés. Mentions légales.

Le Figaro - Sébastien Lapaque

Les Folies françaises

Benoît Duteurtre Dans un roman moins fantaisiste qu’il n’y paraît, il imagine l’émoi créé par la réapparition de Charles de Gaulle dans la France contemporaine.

Benoît Duteurtre aggrave son cas. Après avoir taillé en pièces les laborantins fous de la musique sérielle (Requiem pour une avant-garde, 1995), réhabilité l’opérette, dénoncé la tyrannie de la bagnole (le Grand Embouteillage, 2002), flingué les opérateurs de téléphones de poche (Service clientèle, 2002) et ressuscité un bonheur qui ne se trouve que dans les gares (Chemins de fer, 2006), il se plaît à imaginer la stupeur causée par la réapparition de Charles de Gaulle dans la France contemporaine. Le retour du Général est la première fable uchronique en temps réel. Duteurtre ne réécrit pas l’histoire telle qu’elle aurait pu se produire, mais la raconte au jour le jour telle qu’elle pourrait avoir lieu, ici et maintenant.
Plus insolent et farceur que jamais, il fait surgir l’Homme du 18-Juin à la télévision en prime time et lui met dans la bouche les mots d’un appel à la résistance adapté aux temps commerciaux où nous sommes : «Un alignement suicidaire sur de prétendues normes internationales menace notre prospérité. La foi aveugle dans la loi du marché, l’économie sans règles, l’abandon de toute politique sociale volontaire, le renoncement à l’indépendance nationale et l’affaiblissement de notre langue mettent en péril l’existence même de notre peuple.» On imagine la stupeur de l’élite — comme au lendemain du non au referendum de mai 2005 sur la Constitution européenne. Partout en France, cette intervention suscite des conjectures. Une imposture ? Une manipulation technologique ? Un homme revenu de décongélation à la façon de Paul Fournier, le personnage incarné par Louis de Funès dans Hibernatus ? D’autres apparitions du Général dans l’étrange lucarne finissent par entraîner un ralliement d’une grande partie de la population et la constitution du PVG : Parti vraiment gaulliste. La ministre de l’Intérieur agite le spectre du terrorisme. On crie au complot d’extrême droite. La dissolution de l’Assemblée nationale permet le triomphe électoral du PVG. Le Président de la République doit alors démissionner et laisser sa place au grand Charles.
Le retour du Général n’est pas seulement une suite de considérations sur les causes de la grandeur des Français et de leur décadence. C’est un joli travail d’artiste, plein de couleurs et d’éclats de rire, construit sur un enchaînement de situations imprévues et animé par des personnages attachants — à commencer par le narrateur, écrivain amateur d’œufs mayonnaise et des mélodies françaises dont la mélancolie rejoint celle de l’auteur. Ce livre intelligent règle son compte à toutes les grossièretés de notre époque sans négliger aucun détail. On songe aux farces de Marcel Aymé et de Jacques Perret, mais ces deux-là auraient préféré tuer le Général lorsqu’il était vivant plutôt que le ressusciter une fois qu’il était mort. C’est à l’élégance effrontée de Jean Dutourd que Benoît Duteurtre se rattache avec cette histoire réelle et rêvée, fraîche et revigorante comme un ruisseau de printemps.

Sébastien Lapaque
Le retour du Général de Benoît Duteurtre, Fayard, 220 p., 17,90 €.

Date de création : 23/06/2013 @ 11:39
Catégorie : - Le retour du Général
Page lue 1564 fois

Etonnez-moi Benoît

Romans