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Le devoir, samedi 30 octobre 1999, Caroline Montpetit

Le devoir, samedi 30 octobre 1999



De passage au Québec, il était léger comme l'air, paraissant bien moins que ses 38 ans, coinçant un appel entre une entrevue, un voyage pour New York et un séjour dans la campagne québécoise. C'est que la vie semble sourire à Benoît Duteurtre, cette étoile montante des lettres françaises, qui vient de lancer son dernier-né, Les Malentendus.

Passées les discussions houleuses sur les intellectuels homosexuels qu'avait soulevées sa Gaieté parisienne, c'est au tour de la gauche française d'être la cible de son ironie mordante.

L'histoire est simple. Un jeune militant de gauche français ambitieux, rêvant de défendre le sort des immigrants, se fait subitement tabasser par un groupe de jeunes immigrants dans une ruelle de Paris. L'incident ébranle ses convictions, le pousse à une remise en question, ce qui le range du coup dans le clan des fascistes aux yeux de ses amis de la gauche étudiante. Le héros est d'autant plus déchiré qu'il est amoureux d'une femme réactionnaire aux idées arrêtées sur l'immigration, ce qui ne l'empêchera pas de s'enticher d'un immigrant clandestin. L'amour a ses raisons...

S'élevant contre le dogme, l'écrivain brosse un portrait insupportable de la gauche française, lui qui pourtant dit affectionner Marx, notamment pour son regard concret posé sur les choses. Alors que la France s'est longtemps targuée d'être un modèle d'intégration des immigrants, dit-il, elle se retrouve aujourd'hui avec des ghettos semblables à ceux des Noirs américains.

Et ce qui l'agace en France, c'est la politique vue sous un angle moral plutôt que pratique, celle qui divise simplement le monde entre les méchants racistes et les bons
antiracistes.

«Cette situation [des immigrants] n'est pas un problème moral. C'est une situation sociale qui a été construite, et qui est la responsabilité de la classe politique française, qui a procédé à la construction folle de ces cités de banlieue, qui n'ont rien fait pour qu'il y ait un mélange réel entre les Français immigrés. C'est le produit d'une inconscience politique de la gauche comme de la droite, depuis longtemps, qui a produit cette situation», dit-il.

Sans se priver du privilège du romancier, celui de circuler librement entre la réalité et l'imagination, Duteurtre admet privilégier la littérature qui pose un regard critique sur la société, au delà des obsessions de forme de la modernité.«La littérature française a fait des expériences intéressantes, mais elle s'est aussi refermée sur des obsessions de forme et d'écriture, et a évacué le regard de l'écrivain sur son époque et sur le monde», dit-il.

Duteurtre a donc pour idoles Balzac, Flaubert et Céline. Il apprécie Flaubert pour son cynisme, son sens du paradoxe, plutôt qu'Hugo, qui a lui aussi, selon Duteurtre, une vision manichéenne de la réalité, opposant, dans Les Misérables en particulier, les bons et les méchants.

Dans cette comédie, comme souvent dans la vie, c'est Éros qui est le maître du paradoxe, jetant dans les bras l'un de l'autre des personnages qui ont les corps en commun plus que les idées. Et comme dans la vie, Éros dispose aussi d'un autel sur lequel les personnages sacrifient quelquefois un peu plus qu'ils ne le voudraient.

On pourrait reprocher à Duteurtre d'avoir donné dans un jeu comique simple, «la mécanique littéraire», comme il la nomme lui-même, où les personnages tournent sans fin les uns autour des autres. Les personnages des Malentendus n'ont en effet pas la complexité de ceux de Gaieté parisienne, qui mettait en scène un personnage troublé par son homosexualité.

Mais ce roman arrive tout de même à point nommé dans une France divisée entre la gauche et la droite, où le regard détaché de l'écrivain trouve sa légitimité.

«Le regard du romancier est plus complexe et plus contradictoire que le regard de la morale. Et en plus, le regard du romancier est, par définition, gratuit. [...] Bon, moi, c'est clair, je suis pour une bonne morale politique, je suis pour la victoire du bien sur le mal, je suis pour l'intégration des immigrés, mais tout cela, ce n'est pas mon problème en tant que romancier. Et en même temps, je pense que le regard du romancier, s'il s'intéresse aux contradictions, va nous faire plus avancer, au fond, vers une certaine justesse et une certaine justice, que le regard trop manichéen qui va sonner faux de toute façon.»

Duteurtre ne s'arrêtera pas là d'ailleurs, bien qu'il dise ne pas faire de la littérature pour faire avancer les choses. Il en est à la rédaction d'un essai critique sur la gauche française, dont il se réclame par ailleurs.

«Si vous dites, au sujet de l'immigration, qu'il y a un problème réel, qu'il y a une certaine violence [chez les immigrants], que ce n'est peut-être pas leur faute, on a créé les conditions. Si on dit que cela n'est pas simplement le problème des racistes, là vous vous faites traiter de fascistes par une partie de la gauche, qui ne veut pas entendre cette critique.»

L'humour noir, reconnaît-il, a souvent la particularité de sembler dire le contraire de ce qu'il dit. Duteurtre ne craint pas d'ailleurs de se faire des ennemis, à chaque livre qu'il écrit sur un certain milieu. Déjà, la parution du livre lui a valu de se faire traiter de réactionnaire et de fasciste par une certaine presse, notamment dans Le Monde, alors que l'organe du Parti communiste français, L'Humanité, lui a plutôt fait des compliments.

En attendant la suite, Les Malentendus sera vraisemblablement porté à l'écran, adapté au cinéma par Jean-Pierre Verne. «Le tournage devrait commencer dans un an», dit-il. Duteurtre espère en être agréablement surpris, entre deux balades dans le centre de Paris, sur l'île Notre-Dame où il vit.



Caroline Montpetit

Date de création : 16/07/2005 @ 16:57
Catégorie : - Les malentendus
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