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Le Figaro 30 oct 2001. Anthony Palou

Benoît Duteurtre, le spécialiste de nos ridicules.

C'est l'histoire d'un éternel jeune homme, un Normand de Paris, arrière-petit-fils de René Coty, un amoureux de New York et des vaches, de l'opérette et des dessins signés Sempé. Le prix Médicis qui lui est décerné consacre un auteur aussi à l'aise dans le roman ou l'essai, l'humour ou la fine analyse de nos malaises sociaux. Le Voyage en France (Gallimard) nous raconte l'aventure d'un jeune Américain qui part à la découverte de la France. En ses songes, la France est "le pays des artistes et de poètes".Ses illusionsvoleront en éclats lorsqu'à peine débarqué, il s'apercevra que la patrie de Claude Monet et de Voltaire n'est qu'une terre de tourisme, de cités, de plateaux télé, un pays où même les abbayes sont contaminées par le virus des ordinateurs. Le jeune Américain, féru d'impressionnisme, croisera un Français qui, lui, rêve de l'Amérique.
Le style de Benoît Duteurtre est volontairement froid. Ce qu'il aime, c'est le décalage entre les choses rêvées et les choses vues. Il a ce côté Candide qui lui permet d'avoir ce recul nécessaire pour mieux sauter sur sa proie : la modernité. Ses romans se situent entre le conte philosophique et l'autobiographie. Il épice ses récits de descriptions hyperréalistes et de dérapages fantastiques. C'est son "autofiction" à lui. Ici et là, on découvrira dans son Voyage en France, des portraits de femmes modernes, des paysages de campagne devenus banlieues, des souvenirs d'adolescence... Duteurtre est l'observateur quelque peu désabusé d'une société faisandée.
Dès ses premiers livres (Sommeil perdu ou encore L'Amoureux malgré lui), le romancier s'est fait le spécialiste de nos ridicules. Il les épingle et les classe dans son cahier. A la fin, ça fait une oeuvre. Il est une sorte d'ethnologue de son temps. Un ethnologue qui aurait lu les situationnistes et feuilleté tous les numéros de la revue The NewYorker. C'est un iconoclaste tranquille, un sceptique incorrigible,un inquiet déterminé, un Houellebecq posé.
Ses héros sont des gens ordinaires qui n'arrivent pas à passer la barre de l'insertion sociale. Ce sont de doux névrosés. Ils passent de déception en déception sans s'en formaliser. Ils ont le sourire en bandoulière et le rictus facile. Ils méprisent la société qui le leur rend bien.
Benoît Duteurtre est un esprit raffiné. Il aime la France mais préfère New-York. Il aime Paris mais se sent beaucoup mieux dans sa maison des Vosges ou sur la plage d'Etretat. Comme ses romans, Benoît Duteurtre n'a pas pris une ride. Ce garçon n'arrive pas à vieillir, ce qui est assez rassurant. Il a toujours cette même bonne tête de rouquin rêveur à qui on ne la fait pas. Il ne se laisse pas attendrir par les modes, ne tombe dans aucun panneau, préfère Phi-Phi d'Henri Christiné au Marteau sans maître de Pierre Boulez.
Et il le dit, ce qui n'est pas, a priori, évident. Il a des nausées lorsqu'il traverse le jardin du Palais-Royal et ses colonnes de Buren. Il ne cherche pas à changer le monde car, lucide, il sait que c'est une tâche au-dessus de ses forces. Alors il l'observe. Il est le décrypteur consciencieux de notre comédie sociale et navigue, tranquille, dans un monde cauchemardesque. On se souviendra aussi que son premier lecteur fut, en 1982, un certain Samuel Beckett. On connaît des parrainages moins distingués. Il avait du flair, le vieil Irlandais silencieux.

Anthony Palou, le Figaro 30 oct 2001.

Date de création : 16/07/2005 @ 16:29
Catégorie : - Le voyage en France
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